L’ÉDUCATION DE RITA
Le Cercle des Tigres Penseurs
s’est réuni le samedi 23 mars 2019, au Théâtre du Rideau vert.
Accompagnés de l’actrice Éveline Gélinas,
les participants ont assisté au spectacle
L’éducation de Rita.
Voici quelques-uns de leurs commentaires.
— RENCONTRE AVEC ÉVELINE GÉLINAS —
Pourquoi j’aime le théâtre ? Pour le recueillement permettant l’émotion et la réflexion. La rencontre est directe, exceptionnelle, entre les acteurs et le public.
La télé ne permet pas, contrairement au théâtre, d’aller en profondeur dans la construction d’un personnage. Pour la scène, le travail doit se déposer dans le corps ainsi que l’émotion et la pensée. Les questionnements sont essentiels en répétition et au théâtre, on prend le temps d’explorer à fond. À la télé et au cinéma, le travail de l’acteur est tributaire de celui du réalisateur, du monteur, du producteur. Le théâtre est vraiment l’art de l’acteur. C’est sportif, marathonien. On mouille sa chemise. Il faut porter dans la salle le texte, pas de gros plans, pas de prise de son. Et la communication entre les partenaires de jeu est poussée à son plus intense.
Je crois que ce qu’on va voir et entendre cet après-midi parle du caractère essentiel de ce qu’on appelle la culture, la vraie, et de sa transmission. Un sujet qui m’interpelle très fort.
On a rarement l’occasion d’échanger comme ça avec des spectateurs venant de milieux différents.
— COMMENTAIRES DES PARTICIPANTS —
Ça parle de la difficile interaction entre les classes sociales.
Le prof poète raté est d’abord satisfait de lui-même,
puis vite déçu, frustré, déclarant qu’il ne sait rien.
Rita, elle, dans un langage assez proche de celui des Belles Sœurs de Tremblay,
se plaint de ne rien connaître et désire se découvrir elle-même.
— Gérard T, avocat
Elle veut être libre alors que lui est enlisé
dans sa neurasthénie de prof désabusé.
— Chantal D, avocate
La pièce montre la belle contradiction entre savoir sans pouvoir
et pouvoir sans savoir. Les deux personnages luttent,
l’une pour se libérer de l’insignifiance de sa petite vie,
l’autre pour transgresser un savoir universitaire étouffant.
Le duo est fort, drôle, profond, électrisant.
— Robert Lalonde, acteur, écrivain
Lui a fait des choix, peut-être les mauvais.
Elle cherche à se dépasser. Lui a joué la game,
elle désire simplement dépasser sa condition, sans jouer la game.
— Garwood J-G, courtier immobilier
C’est vrai qu’il est condescendant.
On se dit : « Qui est-il pour décider de ce qu’elle devrait devenir? »
— Éveline Gélinas, comédienne
Ce sont deux niveaux de langage et deux visions qui se renversent.
Ça me fait penser au Don Quichotte de Cervantès :
au début, c’est Quichotte qui poursuit son rêve et puis s’arrête,
et Sancho qui semblait sans rêve finit par devenir celui qui veut réaliser ses rêves.
— Myriam D.B, traductrice
On pense aussi à Pygmalion.
C’est d’abord la confrontation comique de deux langages opposés,
puis le jeu devient plus grave : il est question de deux êtres
qui cherchent à sortir de leur condition.
— Danielle B, retraitée
Je suis traductrice et quand on fait de la traduction simultanée,
il faut traduire parfois un paysan, une prostituée, une universitaire.
Souvent, le traducteur ne sait pas reproduire
le langage de la personne dont il doit traduire les propos.
Le texte livré ici par les acteurs,
entre autres grâce à la traductrice, est si vrai, si juste !
— Myriam D.B, traductrice
La caricature langagière aurait été fâcheuse, ici.
Elle n’aurait pas permis à la vérité des personnages d’émerger.
Et je dois saluer le grand art de la High comedy britannique.
On rit beaucoup, mais le fond est grave.
On oscille sans cesse entre le rire léger et l’émotion profonde.
— Robert Lalonde, acteur, écrivain
Rita affirme que ses proches ne l’acceptent plus
à partir du jour où elle tient des propos hors de la banalité.
Et elle craint que les proches du prof la tournent en ridicule.
Mais Rita ne veut pas changer de groupe social,
elle veut simplement devenir elle-même.
— Myriam D.B, traductrice
Et si le prof avait été une femme
et qu’on n’avait pas soupçonné de désir entre elle et Rita ?
Est-ce que ça se serait passé autrement ?
— Éveline Gélinas, comédienne
Le désir est essentiel dans la transmission,
pour peu qu’il se métamorphose en goût de venir en aide,
de propulser l’autre vers la réalisation de lui-même, d’elle-même.
Il ne faut pas confondre sexualité
et une certaine tension sexuelle qui peut aider à sublimer.
— Garwood J-G, courtier immobilier
Ça m’a rappelé qu’à mon travail,
j’ai dû répondre à un questionnaire écrit
et mes réponses n’ont pas du tout fait l’affaire des patrons.
Je n’ai pas répondu ce qu’ils auraient voulu que je réponde.
J’ai été comme Rita, trop franche, et j’ai répondu dans mes mots,
exactement ce que je pensais. Fallball !
— Lucie M, cuisinière
Le risque d’être sincère, dans tous les milieux, est énorme.
— Robert Lalonde, acteur, écrivain
On est tous confrontés à ça.
— Chantal D, avocate
Il n’y a pas une éducation particulière qui prédestine à l’art.
L’art entre dans ta vie sans tenir compte de ta condition.
— Myriam D.B, traductrice
L’art, la culture enrichissent nos vies, nous aident à supporter la bêtise.
— Danielle B, retraitée
Rita remarque le tableau dans le bureau du prof
et elle y voit même un certain érotisme.
Lui se souvient à peine que la toile est accrochée sur son mur.
— Éveline Gélinas, comédienne
La pièce nous parle de la nécessité d’apprendre
en se fiant à ce qu’on aime et de refuser le jugement
de ceux qui ne comprennent pas et nous désapprouvent.
— Lucie M, cuisinière
Vraiment, la pièce est fantastique !
Le texte, la mise en scène, le décor…
Et les acteurs sont fabuleux !
— Robert Lalonde, acteur, écrivain (Et tous les participants sont d’accord.)
Et ça me rappelle tellement le décor, la lumière de mon école d’autrefois.
Un lieu qui me stimulait et m’inquiétait à la fois.
Le décor, les costumes et la lumière sont vraiment réussis.
— Gérard T, avocat (Et tous les participants sont d’accord.)
On sentait bien que le public avait soif d’entendre des propos comme ceux-là.
Preuve que la pièce est loin d’être dépassée.
— France C, spécialiste en communications
Rita refuse de croire que la culture n’est pas pour elle.
Elle a confiance qu’elle pourra se développer, continuer à faire confiance,
au prof et à la vie, surtout à elle-même.
— Éveline Gélinas, comédienne
Le texte très bon, bien dosé entre le rire et la réflexion.
J’ai eu l’impression que les dernières minutes penchaient vers une certaine morale,
sans doute à cause de l’époque de l’écriture de la pièce.
— Carole R, retraitée
Les autres participants trouvent plutôt que cette esquisse de morale fait du bien,
et remarquent que les jeunes dans la salle semblaient y être très sensibles.
Tou·te·s s’entendent cependant pour affirmer que les interprètes sont vraiment excellents !
On admire les changements d’état émotif des deux personnages,
mais aussi la rapidité avec laquelle Émilie Bibeau doit changer de costume
pour souligner l’évolution du personnage. Très réussi !
Un beau moment passé en compagnie de Frank et de Rita.
* crédit photo: François Laplante Delagrave